4812

Journal du 30 janvier au 5 février

LUNDI

J’accompagne Coline Marciau sur son terrain.

Elle va passer une année d’hivernage à DDU et s’occuper du suivi des huit espèces d’oiseaux qui nichent sur les îles de Pointe Géologie. Ce jour-là, elle part baguer des poussins de skuas sur l’île des Pétrels (celle sur laquelle est présente la station de DDU). Nous nous munissons chacune d’un casque car les parents des poussins peuvent devenir très agressifs lorsqu’on s’approche de leur progéniture. Coline est d’un calme exemplaire malgré les cris continus et les attaques en vol piqué des skuas. On se croirait dans Les Oiseaux d’Hitchcock !

Poussin de skua dans les bras de Coline © MNHN / MSA / IPEV Poussin de skua dans les bras de Coline © MNHN - MSA - IPEV

Je prends ensuite le chemin de la Criée en contre bas de la station. L’équipe de plongeurs du programme Revolta s’apprête à récupérer des pièges (récifs artificiels) installés quelques années plus tôt et sur lesquels ils espèrent trouver une faune fixée riche et diverse. En fin de matinée, j’ai juste le temps de les voir s’immerger dans le Chenal du Lion avec Olivier, un plongeur professionnel. L’après-midi, je les suis à proximité de l’Anse du Lion où ils partent dans une petite embarcation pour démonter 2 autres pièges situés un peu plus loin.
L’opération est une réussite : quatre pièges ont été récupérés aujourd’hui. Il n’en reste plus que deux, situés dans la Baie du large. Pour l’heure, il s’agit de préserver la précieuse récolte dans des bacs d’eau de mer à la Criée avant de pouvoir la conditionner en alcool et dans des touques pour un voyage jusqu’au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris où les échantillons récupérés seront analysés.

Jérôme Fournier (Revolta) au premier plan. A l’arrière : Olivier Domenjoz plongeur professionnel avec l’un des pièges © MNHN - MSA - IPEV Jérôme Fournier (Revolta) au premier plan. A l’arrière : Olivier Domenjoz plongeur professionnel avec l’un des pièges © MNHN - MSA - IPEV
Mardi

Ce matin, à 9h, une nouvelle occasion m’est offerte de lâcher un ballon-sonde. Il faut dire que mon premier lâcher n’avait pas été une prouesse : le ballon-sonde avait éclaté vers 12 000 mètres (or les données météos à recueillir doivent s’échelonner de 0 à au moins 18 000 mètres d’altitude). Alexandre, Vincent et Philippe, les trois météos hivernants de DDU me laissent donc une nouvelle chance ! 1h30 plus tard, le verdict tombe : le ballon s’est élevé à 23 000 mètres. Pour récompenser mes progrès, les météos me délivrent un joli diplôme !
L’après-midi, je m’intéresse au programme d’Elodie Schloesing mené avec l’IPHC de Strasbourg. Elle s’occupe d’une colonie de manchot Adélie sur la base. Malheureusement le bilan est catastrophique ! La colonie Antavia (du nom du programme de recherche) comptait 300 individus et aujourd’hui il en reste à peine 12… Des individus erratiques, il n’y a plus aucun couple ni aucun poussin … Elodie décide d’aller sur une autre île de Pointe géologie : l’île Mauguen sur laquelle une antenne GPS a été posé il y a un mois à peine. Cette antenne permet d’observer la dispersion des manchots transpondés c’est-à-dire équipés d’une puce de suivi.
Elodie s’assure du bon fonctionnement des équipements et fait un relevé des enregistrements stockés dans la valise GPS. Deux manchots seulement sont passés par là depuis un mois. Nous rentrons à Biomar (un laboratoire de biologie à DDU) après une petite heure de marche sur la banquise. Elle m’explique en détail son travail à l’année. Elodie passera l’hiver à DDU parmi les manchots Adélie et les manchots Empereurs qu’elle équipera soit de logger soit de transpondeurs et sur lesquels elle effectuera plusieurs prélèvements (prise de sang, prélèvement de plumes etc…) qui seront analysés plus tard à l’IPHC de Strasbourg.

Attention, passage d'Adélie sur la passerelle de détection © MNHN - MSA - IPEV Attention, passage d'Adélie sur la passerelle de détection © MNHN - MSA - IPEV
Mercredi et jeudi

J’avance dans mes comptes rendus sur le suivi des programmes scientifiques et sur les aspects humains et techniques de la base. Certains articles me demandent sept heures de travail et je m’empresse de faire vérifier et valider le contenu par les spécialistes scientifiques ou techniques avant de pouvoir vous les envoyer en France. J’ai passé le plus clair de mon temps devant l’ordinateur donc … mais je ne suis pas seule dans le bâtiment Geophy ce qui rend ce genre de travail plus agréable. J’ai quand même pris le temps d’observer le conditionnement des pièges remontés par l’équipe Revolta : 11 plaques, recto-verso, superposées sur chacun des 6 pièges récupérés qu’il faut à présent étiqueter, photographier, mettre en alcool et ensacher avant envoi pour analyse au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris. C’est une petite chaîne de travail qui s’organise à la Criée autour de Marc, Anouchka et Jérôme.
Et puis, le mercredi c’est le traditionnel jour du goûter ! Cette fois, le pâtissier nous a préparé de délicieux cakes et cookies pour 16 heures. C’est la pause conviviale de la journée. Jeudi soir, comme toujours c’est la soirée scientifique. Jérôme et Anouchka nous font partager leur travail. Jérôme nous parle de plongées polaires et Anouchka nous fait rêver avec ses plongées tropicales en Papouasie !

 

Anouchka prend en photo chaque plaque © MNHN - MSA - IPEV Anouchka prend en photo chaque plaque © MNHN - MSA - IPEV
Solène et Erwan adorent les cookies ! © MNHN - MSA - IPEV Solène et Erwan adorent les cookies © MNHN - MSA - IPEV
Vendredi

Je vais observer Jérémy, le boulanger-pâtissier, au travail dans sa cuisine. Il fait des croissants et des petits pains au chocolat. Miam ! Il prépare aussi des babas au rhum pour ce midi. Re Miam ! Je poursuis également mon travail d’écriture et essaye de trouver une solution avec François et Yoann, mes camarades informaticien et électronicien du bâtiment Geophy, pour rendre possible la réalisation d’un gnomon pour l’école de Willer sur Thur. Cela fait plus de quinze jours que le vent est trop important pour placer le dispositif en extérieur. On bricole un support stable mais je crois bien qu’il faudra encore attendre pour avoir à la fois suffisamment de soleil et peu de vent si je me fie aux prévisions de nos trois météorologues ! Dans l’après-midi, je m’octroie une pause d’une heure en salle de sport. Vélo elliptique et étirements sont les bienvenus ! D’autres font du ping-pong ou de la course sur un tapis. Il faut dire que les conditions ne sont pas vraiment satisfaisantes pour se dégourdir les jambes en balade. La banquise est trop fragile par endroits et il reste peu d’itinéraires qui ne soient pas désormais interdits à la traversée.
En fin de journée, après le dîner, je rejoins un petit groupe qui s’est inscrit à un atelier photo animé par Doris Thuillier de l’IPEV. Il nous apprend ce qu’est un sténopé. Il s’agit d’un appareil photo très simple basé sur le principe de la chambre noire ou camera obscura donc se servait déjà le peintre hollandais Johannes Vermeer au 17 ième siècle pour produire l’effet de perspective sur certaines de ses toiles. Doris a confectionné une petite boîte carré en bois, étanche à la lumière, d’environ 25 cm. C’est un minuscule trou percé à l’avant de celle-ci qui nous servira d’objectif. La lumière qui y passe à travers va impressionner du papier photographique photosensible. Le résultat recherché n’a rien à voir avec une photographie numérique. Le négatif obtenu offre une image en noir et blanc plutôt « veloutée » que nette, une image difficilement reproductible deux fois !

Doris et son sténopé bricolé © MNHN - MSA - IPEV Doris et son sténopé bricolé © MNHN - MSA - IPEV
Samedi

Le matin c’est encore du travail d’écriture … L’après-midi, c’est la traditionnelle « manip vivres » qui permet de faire passer de main en main de quoi nourrir la base durant une semaine. Comme d’habitude, on se poste tous à la queue leu-leu entre le magasin +4°C et le séjour, puis entre le magasin -20°C (vivres congelés + sous magasin » sec » pour les produits d’hygiènes) et le séjour. Mais aujourd’hui, une autre manip va nécessiter quelques bras. Nous sommes une vingtaine à se porter volontaire pour la « manip câble » ! Il s’agit de tirer un câble depuis le vieil abri en bois Marret situé près du Dortoir d’été à 400 mètres du bâtiment informatique-électronique de la base. Le bâtiment commence à s’affaisser et le répartiteur téléphonique qu’il abrite doit être démonté et rebranché un peu plus haut. On s’affaire une petite heure, dans la joie et la bonne humeur, sous l’oeil inquisiteur des skuas qui ont leurs nids sur la trajectoire du chemin à emprunter …

Abri du Marret. On tire 400 m de câble © MNHN - MSA - IPEV Abri du Marret. On tire 400 m de câble © MNHN - MSA - IPEV
Yoann sort le câble à Géophy © MNHN - MSA - IPEV Yoann sort le câble à Géophy © MNHN - MSA - IPEV