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Les oiseaux de l’île des Pétrels, la bien (et mal) nommée

Par Marc Éleaume.

L’archipel de Pointe Géologie se compose d’une myriade d’îles et îlots rocheux. Tous portent des noms qui rappellent que cette terre a été découverte assez récemment : île Claude Bernard, île Jean Rostand, îles Curie, île Alexis Carrel, île Pasteur... Cet archipel reste encore une Terra incognita à de nombreux points de vue. La base Dumont-d’Urville a été installée sur une des plus étendues d’entre-elles : l’île des Pétrels qui culmine à 44 mètres.

Cette île abrite des colonies d’oiseaux marins, des pétrels certes mais surtout des manchots. Les plus nombreux habitants de cette île sont les manchots adélie, présents par dizaine de milliers pendant la saison de la reproduction, c’est-à-dire pendant le court été austral. Cette île aurait donc tout aussi bien pu être nommée l’île des manchots.

Il existe 8 espèces d’oiseaux nicheurs dans l’archipel de Pointe Géologie. L’île des Pétrels en abrite la majeure partie puisque 6 espèces sont présentes. Seuls les pétrels géants et les manchots empereurs nichent à proximité de l’île des Pétrels.

Le manchot adélie est ainsi le plus nombreux des représentants des dinosaures actuels de l’île des Pétrels qui ont choisi de vivre parmi les terres les plus inhospitalières (pour l’Homme) de la planète. La colonie se scinde en plusieurs groupes qui se sont établis sur tous les sommets et les pentes rocheuses de l’île, y compris sous les bâtiments de la base ! On compte environ 30.000 couples sur l’île ; 60.000 oiseaux et leurs poussins qui communiquent bruyamment. Un concert de manchots adélie est offert gracieusement aux heureux campagnards d’été vivant sur l’île et ce, 24 heures sur 24, nuit polaire oblige. Depuis quelques années, la banquise ne débâcle pas ou très partiellement ce qui oblige ces oiseaux marcheurs et nageurs à parcourir entre 30 et 75 km de glace avant d’atteindre la mer dans laquelle ils se gavent de krill, sorte de crevette vivant sous le bord de la banquise. Ils mettent près d’une semaine à parcourir cette distance et autant au retour. Les poussins sont ainsi très mal nourris et très peu auront la chance d’atteindre le stade adulte. Très territoriale, cette espèce construit un monticule de pierres en guise de nid. Malheur au poussin qui s’aventure hors de ce micro-territoire, il est inévitablement pourchassé et tué par les adultes alentours. Il fait alors le bonheur des skuas qui iront le donner en pâture à leurs propres poussins. Très tonique, incroyablement résistant, le manchot adélie est capable de surmonter la plupart des obstacles topographiques à la seule force de ses pattes. Sur la glace et la banquise, rien ne l’arrête et il est encore plus à l’aise sous l’eau où il nage telle une torpille avec une facilité déconcertante. Avec des apnées qui atteignent 6 minutes, il peut plonger jusqu’à la profondeur de 175 mètres. Fin janvier, la colonie est déjà presque désertée car tous ces oiseaux partent en mer muer, c’est-à-dire changer leur plumage. Coûteux en énergie, ils muent sur le pack à proximité de leur principale ressource alimentaire.

Manchots adélies sur leurs nids © Jérôme Fournier Manchots adélies sur leurs nids © Jérôme Fournier

Le skua ou labbe de Mac Cormick est un autre représentant de la gente aviaire de l’île. Il reste difficilement inaperçu car il a la maîtrise de l’air. Il niche en plein milieu des colonies de manchots adélie qui constitue sa principale ressource alimentaire. Proie et prédateur vivent ici en communauté. Ses acrobaties aériennes sont célèbres de même que sa posture au retour au nid, les ailes largement déployées en lançant un cri laissant à penser à une victoire à célébrer. Il est également capable d’attaquer ou plutôt d’intimider tout individu qui s’aventurerait trop près de son nid tant que le jeune est petit. Le jeune ne tarde pas à grandir et changer son duvet en plumes de vol brunes qui le camoufle admirablement. Toutefois, ses cris incessants qui lui permettent de quémander sa nourriture le trahisse souvent. Vers la mi-février, les plus avancés pratiquent leur premier vol et très vite ils acquièrent la maîtrise de leurs ailes et des courants aériens.

Labbe de Mc Cormick atterissant © Fabien Petit Labbe de Mc Cormick atterissant © Fabien Petit

L’océanite de Wilson est le plus petit et le plus nombreux habitant de l’Antarctique. Plusieurs dizaines de millions de couples s’établissent chaque année sur le continent blanc. Avec près de 40 grammes, cet oiseau est capable de véritables prouesses. Il est certes capable de survire à des températures qui avoisinent les -50°C mais également d’effectuer des migrations hivernales à travers tout le globe. Ce petit pétrel marin niche en effet en Antarctique mais est observé chaque année au Groenland, en Alaska, et plus globalement dans tous les océans de l’hémisphère nord. Même si personne ne connaît encore ses routes migratoires, on est déjà certain qu’il s’agit là d’un champion de la migration. Fidèle à son site de reproduction, il revient chaque année à « sa » colonie et « son » nid grâce à des repères topographiques et olfactifs et ce, pendant les 30 années environ que dure sa vie. Son vol papillonnant ravi les campagnards d’été et égaye les soirées car il est actif plutôt la « nuit » lors de son retour à la colonie. Il effectue des circuits aériens de plus en plus resserrés avant de se poser à proximité de la crevasse qui lui sert de nid. Après quelques minutes d’observation, il rentre soudainement dans ce trou à la rencontre de son partenaire qui couve. Un concert se fait alors entendre et quelques minutes plus tard, le partenaire part à son tour à la recherche de leur nourriture. Pour cet oiseau très marin et parfaitement capable de parcourir des distances extraordinaires par tous les temps, traverser la banquise est un jeu d’enfant. Il « picore » la surface de l’océan à recherche de krill, de plancton. Il est également capable de plonger à une profondeur n’excédant pas 1 mètre.

Océanite de Wilson à proximité de son nid © Fabien Petit Océanite de Wilson à proximité de son nid © Fabien Petit

Le pétrel des neiges d’un blanc immaculé colonise tous les chaos de blocs et les éboulis de l’île. Il se fait entendre dès que les partenaires, fidèles « à vie » se retrouvent. Il s’agit là d’un oiseau capable de vivre jusqu’à 55 ans. Il porte bien son nom car ni la neige, ni la glace ne l’arrête et il mène à bien sa nichée quelle que soit la météorologie locale. D’une élégance rare, cet oiseau illumine de sa grâce le ciel de la base, là encore plutôt en soirée lors de son retour de sa pêche en mer. Il est facile de le voir « jouer » dans la neige lorsqu’il se laisse glisser sur les pentes à la manière d’un skieur. Arrivé en bas, il vole au sommet sans nul besoin d’un remonte-pente et recommence. Jeu, fonction biologique, manière de se débarrasser de ses parasites ? La question reste ouverte. Toujours est-il que c’est un véritablement ravissement de le voir évoluer ainsi.

Pétrel des neiges en train de couver © Jérôme Fournier Pétrel des neiges en train de couver © Jérôme Fournier

Le damier du cap et le fulmar antarctique sont les deux dernières espèces d’oiseaux qui fréquentent et nichent sur l’île des Pétrels. Les deux utilisent les falaises et leurs encorbellements pour nicher et élever leurs poussins. Le fulmar est très discret et seuls des yeux experts permettent de déceler sa présence. Le damier l’est également mais ses vocalisations permettent de trouver facilement son nid. Cet oiseau blanc et noir est également parmi les plus élégants des oiseaux du « Sud ». Les deux espèces peuvent atteindre l’âge respectable de 20 ans. Tous ces oiseaux appartiennent à la famille des Procellariidae à l’exception du skua (famille des Stercorariidae) et du manchot adélie (famille des Sphenicidae).

Damier du Cap en vol © Fabien Petit Damier du Cap en vol © Fabien Petit

Si l’on considère le nombre d’espèces présentes sur l’île, l’île des Pétrels est donc bien nommée !